Unanime, le constat est fait par plusieurs techniciens et anciens pratiquants confirmés qu'on ne peut soupçonner de donner dans un pessimisme gratuit : le basket-ball sénégalais va mal. 9-ème sur 16 lors du 24-ème Championnat d'Afrique des nations (CAN) des garçons en Angola, il a connu pour la première fois de son histoire le déshonneur d'une défaite en finale à Dakar, lors du CAN des filles, en septembre dernier. Pour les équipes de clubs, les filles sont en rade au plan continental, là où les garçons de Bopp et de l'US Rail n'ont eu que des accessits au tournoi de la zone 2 de Conakry, se voyant ainsi privés de championnat d'Afrique.
Pour un pays habitué il y a peu à régner sur l'Afrique du basket-ball, féminin comme masculin, la chute est aussi brusque que cruelle. Quelles sont les raisons d'une telle descente aux enfers ? Le diagnostic des techniciens et anciens pratiquants interrogés par l'APS portent pêle-mêle sur le défaut d'hommes de poigne à la tête des différentes sélections et équipes de clubs, la non maîtrise par les joueurs des fondamentaux de la balle au panier, le manque de moyens auquel font face les sélections et subséquemment l'appât du gain qui s'est saisi frénétiquement des joueurs pour qui le basket n'est plus ce moyen d'éducation et de promotion sociale mais une discipline comme une autre pour se remplir les poches.
A ce propos, l'emblématique Bonaventure Carvhalo qui a été au service de la balle au panier plus de 30 années avant de décrocher souligne que ''le basket actuel n'est rien d'autre maintenant qu'une affaire d'argent, contrairement à notre époque où gagnait des titres parce que tout simplement on constituait une équipe, un groupe, une famille ne vivant que pour la discipline''.
A 79 ans révolus, Bonaventure Carvalho qui continue de croire que rien ne se construit en sport en général et au basket en particulier sans une rigoureuse planification estime que ''l'argent récolté ne sert pas à grand-chose pour le développement de la discipline, sauf qu'il nourrit les acteurs et ceux qui sont autour'' d'eux.
Ainsi, déplore-t-il, ''il n'y a plus de championnat régulier au Sénégal'' et ''seuls les clubs riches achètent les meilleurs joueurs pour trôner sur un championnat'' très déséquilibré.
L'honnêteté recommande de reconnaître chez les garçons comme chez les filles qu'on assiste à une compétition à sens unique où seules deux ou trois équipes dictent leur loi aux autres, réduites à l'impuissance parce que non nanties.
Chez les hommes, l'AS Douanes caracole en tête du championnat grâce à de bons sociétaires soutenus par de bons techniciens. Sa recette ? Recruter chaque année les meilleurs joueurs des autres clubs.
Des formations comme l'US Rail tentent depuis deux ans de jouer les trouble-fêtes grâce à Amadou Gallo Fall, un ancien basketteur de retour au pays qui a mis en place une structure (le SEED) chargée de former les jeunes à la pratique du basket sous les couleurs de la Cité du Rail.
Dans une moindre mesure, l'ASC Bopp et l'US Gorée font de la résistance, là où la Jeanne d'Arc de Dakar voit se végéter d'année en année sa section de basket. Un gâchis pour un club qui fait partie de ceux qui ont donné au basket-ball sénégalais ses lettres de noblesse.
Ne parlons pas des clubs paramilitaires comme l'AS Police et l'ASFA, désormais confinés à jouer les seconds rôles après un éblouissant passé
Chez les filles, le Dakar Université club (DUC) rafle tout sur son passage. Pour gagner toutes les compétitions (elles ont réussi leur énième grand chelem l'année dernière), les ''Duchesses'' ont fait sienne la méthode du plus fort : s'offrir les meilleures joueuses et espoirs des autres clubs de la capitale et de l'intérieur du pays.
Même le Saint-Louis basket club qui a semblé lui tenir tête ces deux dernières saisons n'a pu retenir ses sociétaires. A l'image des garçons, les filles de la JA assistent impuissantes à la décadence de leur section de basket au point que des supporteurs poussent une gueulante en demandant aux dirigeants de tout reformer à la base via des moyens conséquents.
Au parloir, Moussa Mbengue, ex-capitaine des Lions et de l'AS Police, souligne : ''sans moyens on ne peut pas former à la base les entraîneurs, avoir de bons terrains, de bons ballons, promouvoir le mini basket et les petites catégories. Il faut que l'Etat accepte de financer les programmes que leur auront auparavant soumis les responsables et les techniciens''.
Le manque de programme et de projet a contribué dans une large mesure aux récents échecs aux Championnats d'Afrique des Lions et des Lionnes. ''On ne peut pas, se désole-t-il, gérer un groupe sans au préalable avoir des projets bien déterminés. Les techniciens se sont basés sur les expatriés, parce qu'il n'y a plus rien au niveau local du fait d'un manque de formation. Les jeunes ne sont plus bien encadrés''.
Préconisant des solutions, Moussa Mbengue a suggéré la mise en place de programmes sport/études où ''les pratiquants sont encadrés, logés, nourris et suivis à l'école''. De tels joueurs pourront constituer ''l'antichambre de l'équipe nationale'', a-t-il estimé.
Aïssatou Guèye ''Minia'' capitaine des Lionnes du Basket de 1987 à 1992 abonde dans le même sens en mettant la mauvaise passe du basket-ball sénégalais sur le compte d'un défaut de techniciens émérites doublés d'éducateurs de la trempe de Bonaventure Carvalho, aptes à faire un bon suivi des joueurs et joueuses.
''Nous avions un groupe de performance drivé par un éducateur spécialisé au basket (Ndlr, Bonaventure Carvhalo), qui savait faire la corrélation entre le social et le basket'', explique ''Capi'', autre nom donné à Aïssatou Guèye par ses co-équipières d'antan .
Les performances des Lionnes d'alors s'inscrivaient sous le sceau de la rigueur, soutient Aïssatou Guèye selon qui le suivi était tel que ''même pendant les vacances de Noël, du 24 décembre au 2 janvier, on ne rentrait pas chez nous. On retrouvait immédiatement l'équipe nationale pour un regroupement jusqu'au 31 décembre. Et c'est seulement le soir à 18 heures que nous pouvions rejoindre nos familles''.
Même Bonaventure Carvalho qui est chrétien mettait une croix sur la fête de Noël donnant ainsi l'exemple. ''Bona était tellement strict que l'on ne pensait même pas enfreindre les règles. Quand tu t'absentais aux entraînements, il allait directement chez toi voir tes parents pour connaître les raisons de ton absence. Il nous suivait pas à pas'', se rappelle l'ex-joueuse de Ouakam et du SIBAC qui, après avoir mis un terme à sa carrière à cause d'une récurrente blessure au genou, s'est définitivement retirée du basket pour se consacrer à son mari et à ses deux filles.
Selon ''Minia'' qui a conduit en 1984 à Dakar les Lionnes à la victoire finale face aux Zaïroises, le recettes du succès étaient uniquement dans le travail rigoureusement bien fait et non ailleurs comme dans...des pratiques occultes. ''Sous l'ère Bona, ni l'encadrement technique ni les joueuses ne parlaient de +xon+. Personne n'osait l'évoquer ou y toucher. Pas d'amulette, pas de bouteille, rien de tout ça ! Il n'y croyait pas et nous non plus''.
Et si on nous trouvait des coachs du genre Bona?
Mercredi 14 Novembre 2007
Amadou Lamine NDIAYE