02 décembre 2006

SENEGAL : Can Junior - Zoom sur les élèves et étudiantes de la «tanière» : L’école buissonnière à Maputo

Dans le groupe des Lioncelles du Sénégal qui vont disputer à partir de ce matin à Maputo (Mozambique) la Can féminine des 20 ans et moins (2 au 10 décembre), cinq filles ont pris le risque de bouder les salles de classe pour répondre à l’appel du jeu. On a été à leur Ag d’avant-débrayage prolongé.

L’ambiance est bouillonnante au Centre François Bob des Hlm Grand-Médine, ce mercredi soir, veille de départ des Lioncelles pour Maputo où débute ce matin la Can féminine des 20 ans et moins. Peut-être que les Lioncelles sont excitées à l’idée de prendre l’avion dans la soirée ? Peut-être aussi qu’elles sont bien rassasiées ? Car, elles sortent à peine de la table du dîner. Comme des pies, elles crient à tout va.

C’est dans ce tohu-bohu que démarre la pêche aux élèves de la «tanière». Jalouses de leur statut, les «reines» de la soirée chambrent leurs coéquipières. «Es-tu élève ?», ironise l’une d’elles, en interrogeant sa coéquipière venue squatter la «chambre-salle de rédaction» pour finir une communication téléphonique. «Non», répond-elle, surprise du ton solennel. «Donc, il faut sortir parce que l’entretien ne concerne que les élèves», se réjouit-elle devant la moue boudeuse de sa camarade. Elles poussent le bouchon jusqu’à fermer l’accès de la chambre aux intruses et perturbatrices. Dont Ndèye Sène, la meneuse du Saint-Louis basket club, qui, sous le coup de la terrible «vanne», n’a pas manqué de jurer qu’elle va se remettre aux études.

Pour l’instant, l’entraîneur des juniors-filles, Ousseynou Ndiaga Diop, ne dispose que de cinq élèves ou étudiantes dans sa salle de basket : Sabelle Diatta (20 ans, Duc), étudiante en 1ère année de Marketing, Marie-Odile Sagna (Asfo, 20 ans) et Fatoumata Diango (JA, 20 ans), élèves en Terminale, Maty Diallo (Stade de Mbour, 20 ans) qui fait la 2nde et la benjamine Aïcha Ndao (Bc-Mbour,18 ans), en classe de 3e. Leur point commun, elles ont pris l’option de déserter les salles de classes le temps d’une Can des 20 ans et moins. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Elles répondent par l’affirmative, mais mâtinent leur propos d’un zeste de prudence. «En Equipe nationale, il y a plus de matière et de moyens pour progresser. Mais, il faut attendre le championnat pour mieux en juger», sérinent-elles sous un air de séductrices-nées.

Le sens de l’humour débordant, ces «intellos» de la «tanière» sont enthousiastes de livrer leur secret. «C’est difficile d’allier le basket aux études», jurent-elles sur le cœur. N’empêche, chacune a trouvé une stratégie pour percer dans le milieu de la balle orange, poussant l’amour du jeu jusqu’à bouder les salles de classes le temps d’une compétition africaine. Mais, consentent-elles à se donner bonne conscience dans un élan caustique : «On ne va pas rater grand-chose avec la grève des enseignants», justifie Marie-Odile Sagna. L’ambition en bandoulière, elle avoue sa prétention à jouer sur deux tableaux : «Mon rêve est de devenir internationale tout en poursuivant mes études.» La «Fonctionnaire» a monopolisé le débat, malgré la concurrence souriante de l’étudiante Sabelle, «la toubab». «Je parle beaucoup, c’est pourquoi, il faut que je trouve un homme qui pourra supporter mon bavardage», sourit Odile. Et la salle se tord de rire devant cette révélation de la menue et frêle meneuse.

«Les études sont aussi une issue de secours, parce qu’à 30 ans, on est obligé de raccrocher les baskets», se convainc la joyeuse bande d’élèves. D’où leur challenge d’avoir au moins un niveau de la Licence professionnelle. «Bac+3, cela suffit», répètent-elles. Histoire de trouver une reconversion à leur sortie définitive des parquets. Mais si la Duchesse a entamé une formation en Marketing, tel n’est pas encore le cas de l’élève du Lycée Blaise Diagne qui hésite encore à faire son choix d’orientation de carrière. «Après le Bac, je serai plus fixé», lance-t-elle, sous le gestuel et les hochements de tête.

Déficit physique

Si le tandem «Sport-études» est privilégié, il n’en demeure pas moins que ce choix regorge de conséquences pas toujours positives. Ces potaches sont tenues à des contraintes horaires, devant être en cours de 8h à 17h, et de 18h à 19h, certains coaches ne les rendent pas la tâche facile. «Les entraîneurs ne comprennent pas trop que tu dois prendre du recul pour réviser, quand tu es en classe d’examen. Ils ne voient que leurs intérêts», décrient-elles. A peine, la confession achevée que Lika Sy (Sibac) débarque dans la salle. Etonnée, la sœur de Anta Sy se retire prestement. Cependant, les commentaires vont bon train pour expliquer son arrivée tardive au lieu de regroupement : «Nékoul woon sen keur (Elle ne vient pas de chez elle)», souffle l’espiègle Sabelle, sous l’acquiescement de ses consœurs. L’intermède se referme aussitôt.

Le physique imposant de la Sicapoise renvoie ces «sans muscles» à leur condition de sous-entraînées, la faute à un emploi du temps «études-sport» qui donne peu à l’entraînement, peu à la récupération. Victimes à l’endurance, elles misent sur la technique. Seulement, «à chaque fois que le rythme monte, nous nous faisons écraser par les autres qui disposent de plus de temps d’entraînement», constatent-elles. Une sonnerie retentit et le malheureux propriétaire du téléphone subit un vif harcèlement. «Ton portable sonne trop. Par hasard, ne serais-tu pas un dealer de drogue», accable-t-on la pauvre. Sans trop se fier aux explications servies par l’accusée, l’intarissable Marie-Odile poursuit son quasi-monologue : «Si les études demandent trop de temps, pour réviser, le basket, aussi, a ses exigences. Donc, il faut une bonne organisation, sinon on risque de flancher quelque part. Par exemple, dans les autres classes, je m’arrangeais pour avoir la moyenne partout.

Mais l’année dernière, cela ne m’a pas réussie et j’ai échoué au Bac.» Le spectre de l’échec planant dans la salle, la «dreadlockée», Aïcha Ndao, venue de Mbour, émerge de son silence. Inquiète, la candidate au Bfem 2007 s’interroge : «Cela va être difficile pour moi, cette année. Non seulement je change d’établissement, mais je serai en classe d’examen.» La pensée de Maty Diallo, qui a vécu la difficile expérience l’année dernière, n’est pas pour l’extirper de sa gamberge : «Après les entraînements, on ne pense qu’à dormir.» Seule la posture de grande sœur de Sabelle lui sera d’un petit secours : «Il faut persévérer dans tous les plans», encourage l’étudiante en Marketing.

Supplément intellectuel

Car tout n’est pas noir dans le paysage. A côté de ces désagréments, pullulent les avantages tel que «passer professionnel après le Bac». C’est une religion à laquelle adhèrent ces espoirs-intellos. Convaincues qu’après le Bac, il y a une multitude d’opportunités, elles rêvent de rejoindre l’Europe ou les Etats-Unis et de passer professionnelle tout en poursuivant leurs études. «Après le Bac, on peut rejoindre l’Europe et ce sera plus facile d’intégrer l’Equipe A», croient savoir Sabelle et Marie-Odile. L’«Etudiante», dans son français parisien, théorise un supplément d’âme pour les «intellos» du milieu : «Le basket n’est que système et les coaches n’aiment pas trop répéter les mêmes choses.» Mais la pensionnaire du Lycée Blaise Diagne, Marie-Odile, édulcore les certitudes de sa congénère : «A part quelques basketteurs-nés, les 70 % ont du mal à capter les choses facilement», nuance-t-elle. Avant de conclure par cette certitude : «Quand tu es au sport, tu es moins angoissée et les cours entrent plus vite.» L’avenir dira si la parole de Marie est d’Evangile.