13 mai 2006

CAMEROUN: Passage en force dans la rue

Faute de terrains, les jeunes créent des espaces sommaires baptisés "play-ground" pour pratiquer ce sport.

Lorsqu'on entre dans les domiciles, il est devenu rare de ne pas tomber sur endroit aménagé pour taper dans le ballon orange. La preuve manifeste que des adolescents y vivent. Faute de moyen, ils fixent souvent un panier sur le mur, démontable ou non et généralement en plastique. Dès que c'est possible, en compagnie de quelques amis, ils disputent une partie de basket. Fabrice E. est certainement l'un des rares adolescents à bénéficier d'un espace beaucoup plus grand, comme ceux qu'on trouve dans les quartiers. Dans la cour du duplex de ses parents au Carrefour Bastos se trouve la moitié d'un terrain de basket-ball. Les deux poteaux et le panier sont en fer. C'est d'ailleurs un champ d'expérimentation, puisqu'il applique tout ce qu'il a appris en suivant, avec beaucoup d'attention, un jeu vidéo relatif à la pratique de ce sport.

Le phénomène s'est étendu à travers les quartiers de Yaoundé, dans des espaces plus grands qu'à l'intérieur des concessions. Il s'agit généralement de la moitié d'un terrain de basket quand ce n'est pas le terrain entier. Tout dépend de l'espace disponible. Le panier est en fer. Des zones comme l'Hôpital général, l'Omnisport, le Lycée bilingue d'Essos, derrière la foire de Tsinga, à l'école publique de Biyem-Assi, au lycée de la Cité verte, à Odza, à la cité universitaire, ne sont pas épargnés par cette expérience. Ces lieux sont particulièrement fréquentés, en cette période de fin d'année scolaire.

Comme toute médaille qui a un revers, le phénomène des play-ground a le sien. "Le joueur qui y va régulièrement a beaucoup de limites. Il ne sait faire qu'une chose: le smash. Le basket-ball ne peut pas se résumer à cette unique pratique", dénonce Boland Yamde, l'entraîneur national de basket-ball. "S'il sait dribbler et faire du 1 contre 1, il n'a aucune notion aussi bien en tactique individuelle que collective. Parce qu'il sera passé à côté des fondamentaux", poursuit-il. En effet, "le joueur ne sait pas exécuter une passe, tirer en attaque, se démarquer, s'arrêter chaque fois que c'est nécessaire", énumère le technicien.

Pour autant, l'initiative n'est pas négative en soi. "La pratique des play-grounds existe en Angola. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils sont les plus forts dans la discipline en Afrique. Là-bas, chaque terrain est sous la responsabilité d'un entraîneur qui s'occupe de l'encadrement et de la formation des joueurs", reconnaît Yamde Boland. D'ailleurs, c'est grâce à ce phénomène que le basket-ball a connu une expansion en Angola. C'est le contraire au Cameroun, où l'absence ou la disparition des terrains de basket-ball est la conséquence de ce recours. "C'est sur le terrain du Ces de Ngoa-Ekellé qu'on a construit des salles de classe. Au Lycée Leclerc, il ne reste que les vestiges. C'est pour cela que les anciens, du moins ceux de l'année 1974, souhaitent construire 2 ou 3 terrains pour remédier à cette insuffisance", avoue Mme Ngoubeyou Wanko, ancienne joueuse de l'équipe nationale féminine de basket-ball.

Abandon

A la Fédération camerounaise de basket-ball (Fécabasket), on confesse ne pas avoir une politique relative à l'encadrement des jeunes. Même l'initiative de la vulgarisation des play-ground, lancée à Ebolowa, il y a quelques années, à l'époque où Enanga Barnabas était le président de la Fécabasket, n'a duré que le temps d'une cérémonie. Pourtant, l'opération visait à amener les jeunes à adopter ce sport. C'est d'autant plus difficile que la Fécabasket n'a plus de directeur technique national. M. Mekongo, le préposé à la fonction, vit désormais aux Etats-Unis.
Face à cette démission de la Fécabasket, de nombreux centres et écoles de formation ont vu le jour à travers le pays. Principalement dans les villes de Yaoundé et de Douala. "Aucun texte ne régit les activités de ces centres, qui fonctionnent de manière anarchique et dans l'illégalité", indique une source ayant requis l'anonymat. Toujours est-il que ces écoles de formation visent à assurer la relève du basket-ball camerounais. "Notre politique consiste à amener les enfants à s'intéresser au sport et réussir à les garder dans le groupe. A moyen terme, il est question de mettre sur pied une équipe de cadets", révèle Boland Yamde, par ailleurs responsable de Kids basket-ball school (K.B.S.), qui a ses quartiers à l'Institut national de la Jeunesse et des Sports (Injs). Tous les samedis, de 10h à 12h, les enfants de 6 à 13 ans bénéficient de son encadrement, avec l'assistance d'Annie Nyatcho.

"Les tout-petits se font plaisir, s'amusent en découvrant le basket. C'est à partir de 8 ans qu'on leur apprend les notions comme le panier, la passe, l'esprit d'équipe, le règlement, les limites du terrain... A 12 ans, l'enfant est déjà capable de participer à un championnat minimes ou cadets", affirme Boland Yamde. Quant au responsable d'Emia bbc, Mme Goubeyou Wanko, l'encadrement des filles est son challenge. "J'ai constaté que le niveau du basket-ball féminin est très bas. Il n'est pas normal que les anciennes joueuses tiennent tête aux meilleurs équipes du moment", déplore-t-elle.

Pour bénéficier de ses connaissances, il faut débourser une somme de 2.000 Fcfa par mois. Les jeunes n'étant pas toujours prompts à mettre la main à la poche, Mme Goubeyou ne leur parle plus d'argent: "Au début de l'année, ils étaient une cinquantaine. Dès que je leur ai demandé les frais de participation, les ¾ sont partis." Au risque de se retrouver dans les play-ground.